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Benjamin Schlunk

Une esthétique de l’urgence 

Les sculptures de Benjamin Schlunk sont agaçantes par certains côtés. On y trouve fréquemment des éléments aléatoires qui signalent que le ferronnier inclut des éléments du hasard dans son travail, on y trouve parfois les traces d’un inachèvement volontaire, tous ces indices convergent vers une même intention, montrer que le travail avec le métal est un processus qui implique autant le fer que l’humain.

Benjamin Schlunk se réfère à la tradition des forgerons dont l’activité est constamment mêlée à la vie des nomades et des villes depuis les temps immémoriaux. Il cite volontiers Deleuze qui souligne que « Le métal est la pure productivité de la matière, si bien que celui qui suit le métal est le producteur d’objets par excellence. […] L’artisan-métallurgiste est l’itinérant, parce qu’il suit la matière-flux du sous-sol. » (Mille Plateaux, p. 513) À l’image de cette description, Benjamin conçoit son travail dans une perspective longue, qui relie entre elles des générations de forgerons et d’artisans depuis les premières civilisations. Mais son projet artistique enrichit tous les aspects de cette activité par des perspectives aléatoires, liées au présent et au futur, en soulignant constamment les liens esthétiques entre la conception, la production et l’usage.

Lorsqu’il s’empare d’une tâche simple comme la fabrication de ses outils, cette tâche devient la première étape d’un processus singulier grâce auquel il retrouve d’abord ses propres enjeux, comme s’il cherchait à se mettre constamment en accord avec le mouvement plus vaste qui va de la matière aux territoires, et cela jusqu’aux fondements de l’humanité. Le déplacement de la matière, la circulation dans les tuyaux de ses pièces monumentales, la circulation de ces grandes pièces et de ses vélos disproportionnés dans l’espace urbain, participent pour lui d’un même principe, qui fait de la forge le creuset à partir duquel l’énergie peut se diffuser et se redistribuer.

Au coeur du travail de forge il y a pour Benjamin cette défense de la liberté d’action liée à la maîtrise technique des matériaux. L’approvisionnement par le recyclage s’intègre de ce point de vue à un procès d’appropriation qui laisse transparaître différentes strates de la fabrique de l’oeuvre. L’étiquette recyclage peut disparaître totalement ou se manifester au contraire de manière radicale. Dans tous les cas l’usage ou les propriétés artistiques de ses réalisations relèvent de cette esthétique de l’urgence dont se réclame l’artiste.

Ce mouvement affecte d’abord le sol, son occupation, sa redistribution constante. La forge est pour lui l’emblème du déplacement et la matière devient présente dans son travail par son propre mouvement. La torsion de certaines de ses barres préserve tout l’énergie qu’elles sont capables de transmettre, le montants et les rampes de ses escaliers manifestent une lutte constante contre la gravité et l’effort de l’espace à enjamber, les angles de ses sculptures monumentales menacent perpétuellement l’équilibre de l’ensemble et la place qui leur a été assignée dans l’espace. Il faut y ajouter l’empattement de ses grands vélos qui rendent visible son itinérance et son ambition d’inscrire le travail du métal dans un processus vivant, presque léger, mais expressif, vigoureux et dynamique.

Claude KLEIN