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Angela Flaig

Le processus créatif d’Angela Flaig commence par une promenade dans la nature généreuse de la Forêt Noire, qui environne son domicile. Elle collecte délicatement des matériaux naturels : pollen, semences, fleurs de pissenlit. Vient ensuite le temps de la création pure, du ré-arrangement de la nature, de la réorganisation du vivant, cela sans ajouter, si ce n’est pour les fixer, de matériau extérieur à ceux, naturels, de la collecte. Dans l’atelier de l’artiste entrent alors en jeu calme, patience, endurance. Le temps est alors suspendu. Nous imaginons le geste délicat, répété des centaines de fois, pince à épiler en main, le souffle retenu. Angela Flaig entre dans un rythme lent, presque méditatif. On pourrait penser aux travaux manuels répétitifs que l’on a plaisir à réaliser chez soi, les journées ou soirées où le temps est long : tricot, broderie, patchwork, petits ouvrages de patience qui libèrent l’esprit.

En résultent des oeuvres infiniment délicates et fragiles, presque immatérielles, sortes de rassemblements du presque invisible en une « masse » devenue tangible. Ces pollens et semences d’arbres et de fleurs, insaisissables, légers comme des souffles, sont devenus nids douillets, formes rigoureuses, ou encore classements et alignements méticuleux. Nous pouvons voir dans l’œuvre d’Angela Flaig un parallèle avec celle de Wolfgang Laib, qui collecte d’immenses quantités de pollen avec lequel il va patiemment former de grands et splendides monochromes ou des compositions géométriques en le répartissant au sol.

Le nid, tel un écrin duveteux et protecteur, presque maternel, semble attendre son délicat occupant. Angela Flaig a utilisé des graines d’artichaut pour constituer cette oeuvre. Nous pensons alors à certains oiseaux qui s’arrachent leur duvet afin d’en tapisser leur abri et de le rendre confortable pour leurs petits. Il est question ici de la vie : celle contenue dans les graines qui composent le nid, et celle que va accueillir et voir grandir ce nid. C’est toujours un moment particulier que de découvrir un nid d’oiseau dans la nature : la fascination d’y voir de jolis œufs, de frétillants oisillons ou même le désir de collecter le nid, vide, comme un chef d’œuvre de la nature que l’on garderai précieusement.

Face à l’alignement de pissenlits, nous sommes rattrapés par un des plaisirs universels de l’enfance : le pissenlit, que l’on cueille délicatement pour le souffler, spectacle renouvelé de cette envolée de petits parasols, geste créateur de mouvement, de chaos et souffle de vie, toutes ces semences emportées par le vent allant germer ailleurs. Devant ce travail, nous percevons toute la patience et la délicatesse nécessaire du geste. Les fleurs placées côte à côte deviennent une abstraction carrée, créant une dynamique, une succession mécanique à l’opposé d’une pousse naturelle et anarchique. C’est l’ordonnance de la nature. Il y a quelque chose qui tient de la collection dans l’œuvre d’Angela Flaig. Ces pissenlits soigneusement classés et alignés, fixés sur des tiges, semblent être un écho aux papillons épinglés d’un collectionneur.

Que dire de cette autre œuvre intrigante, la pyramide de graines ailées ? Elle semble appartenir à quelque rite ésotérique. La forme pyramidale est forte de symboles, comme celui du passage du monde terrestre au monde céleste une fois le sommet atteint. La surprise nous gagne devant ce volume de semences, où l’on imagine, ici encore, le geste délicat et patient de la récolte et de l’agencement, de l’accumulation de cette matière légère comme l’air. Il y a ici une opposition étrange entre la forme massive et stable de la pyramide, sa régularité parfaite, et la nature du matériau vivant qui la compose, léger et insaisissable.

Dans toutes ces œuvres nous devinons le potentiel de vie, la force endormie de la vie contenue dans ces pollens, ces semences. Une graine, c’est le patrimoine génétique d’une plante, son ADN. Nous avons donc devant nous des prairies, des plantes en devenir. La graine contient tout. La graine est vie. De la terre, de l’eau, de l’air et du soleil : le grand cycle de la vie se met en marche. Ici se trouve sans doute la plus grande force du travail d’Angela Flaig : il contient la puissance de la nature, son déroutant potentiel d’éternel renouvellement, la vie couvant dans les graines. Il est question du cycle de la vie, dont nous faisons tous partie. Faut-il également voir dans la démarche d’Angela un parallèle entre la création de la Nature, et la création de l’artiste ?

Les semences sont une des grandes préoccupations de notre époque, confrontée à de plus en plus de dérèglements climatiques et à la manipulation génétique du vivant, avec les OGM. La banque mondiale des graines garde comme des trésors enfouis dans une montagne de Norvège, les semences des plantes agricoles qui pourront sauver l’humanité en cas de désastre climatique. Et que dire de la bataille  autour du brevetage du vivant engagée par les grands groupes de l’agroalimentaire, sinon qu’elle ouvre la voie à d’inquiétantes dérives en terme de diversité biologique ?