« Valérie Ruiz habite le monde de cette façon. Sans compter, dans la dépense à tout moment, puis soudainement dans l’apnée salvatrice qui dans un suspens mesuré, met à l’abri du fracas. Il est des œuvres mesurées et construites, inscrites dans des territoires aux limites strictes selon des règles longuement délibérées, protocolaires parfois, et rigoureusement suivies. Il en est d’autres portées et emportées par l’urgence, s’inscrivant fébrilement dans un hors- limites où les rencontres ont la violence des accidents et les voisinages une ampleur de grand large. Les une et les autres peuvent par ces cheminements opposés aborder paradoxalement aux mêmes rivages de dérèglements et d’effusion ou d’ordonnancement manifeste. C’est que l’ordre apparent peut recéler un désordre caché et le désordre visible héberger un ordre contenu. L’œuvre polymorphe de Valérie Ruiz ressortit à cette seconde famille. Peinture, vidéo, installation, performance, théâtre, communication … sont les véhicules les plus fréquents de son accomplissement.
(…) Ce travail mosaïque de Valérie Ruiz, cette pensée de l’archipel forme un tout, une façon de s’abouter au corps social, d’y «maintenir la trace éveillée» (selon sa propre expression), de s’y confronter à l’espace et aux voisinages innombrables qui nous empêchent d’embrasser le monde dans sa totalité. Faut-il attendre, faut-il sonder l’invisible pour échapper à l’insaisissable réalité, faut-il vivre pour tracer le périmètre de la rencontre et faire de l’art pour l’étendre à l’infini? « Toujours nettoyer, balayer, laver, …. pour faire la place à ce petit rien tellement fragile, dans un monde de consommation qui nous encombre. Dans ces décombres, la main nous sert ». «Rumeur téléphonique» comme «Echo du charbon» viennent parachever temporairement un parcours sans fin, ici de cris et de chuchotements. Le combat continue entre la vitesse et l’emportement, l’arrêt et le silence. C’est un travail et c’est la vie. Entre les deux, rien de vivable, l’autre peut-être. »
Extrait de L’archipel Ruiz, François Barré, 2008