Guidée par leur fort pouvoir d’évocation, Inès P. Kubler manipule les objets, laissant volontiers la place à l’accident. Elle coule la cire, y agglomère divers matériaux, grave ou teinte certaines surfaces… parfois en lutte avec le tempérament de l’objet qui la contrecarre. Par ce processus qui peut s’apparenter à un collage, elle tente de mettre au jour des aspects de la personnalité des choses jusque là restés invisibles. L’objet se déploie hors des limites imposées par l’usage, pour se glisser dans une toute autre peau et de nouveaux champs d’interprétation. Le caractère transitoire de la cire en fait des objets incertains, passagers d’un monde qui ne l’est pas moins.
Cakewalk présente un ensemble de pavés recouverts d’un décor floral bigarré et dégoulinant. Dans ses différentes séries, l’artiste utilise la cire, un matériau fragile mais aux possibilités plastiques multiples. Sa fluidité s’oppose ici frontalement à la rudesse de la pierre, faisant naître tout un flot de contradictions : mou et dur, coloré et gris, végétal et minéral, festif et monotone.
Les Cakewalk évoquent d’abord une végétation invasive, recouvrant les constructions humaines. Celle qui pousse dans les recoins de nos villes, se frayant un chemin dans les interstices, disjoignant les pierres et révélant le vivant sous l’artificialité de nos trottoirs. Mais l’artiste reprend ici l’esthétique kitsch des fleurs artificielles et de l’ornement rococo. Il s’agit justement, selon l’artiste, de parodies pâtissières. Ainsi, la simple idée de nos dents se brisant sur ces cruels gâteaux est effrayante. Le potentiel entartage auxquels ils nous invitent est encore plus glaçant. Le titre choisi pour cette série n’est pas un simple jeu de mots. Il fait directement référence au Cake-walk, phénomène social né en Virginie pendant la période esclavagiste. Parodiant leurs maîtres se rendant aux bals, les esclaves noirs imaginent à cette époque des danses laissant une large part à l’improvisation et à la fantaisie, qui servent d’exutoire à leurs vies difficiles. Les maîtres amusés prennent alors l’habitude hypocrite de décerner des gâteaux aux danseurs les plus méritants, peu conscients de la moquerie dont ils sont les sujets.
Inès P. Kubler est née en 1971 à Oviedo (Espagne). Elle vit et travaille à Strasbourg.