Bien que son matériau de base soit issu du monde extérieur, de la nature, c’est à une promenade intérieure que le sculpteur allemand Armin Göhringer nous invite. Taillant le bois essentiellement à l’aide d’une tronçonneuse, l’artiste, entre habilité et puissance du geste, va faire apparaître les forces et les faiblesses de la chair d’un arbre : variation de densité du bois qui permettra au végétal de mener sa croissance en fonction de son environnement. L’arbre serait-il le sculpteur de sa propre forme ? Une structure géométrique, une logique intrinsèque à l’arbre semble alors se dévoiler sous les coups de lame du sculpteur explorant le territoire situé entre surface et noyau, entre corps et âme de l’arbre.
L’aspect massif des sculptures d’Armin Göhringer, la brutalité avec laquelle il taille la matière bois ne font pourtant pas de l’artiste un sauvage. Au contraire, c’est en alliant science et sensibilité que l’artiste tente de révéler l’esprit du sauvage, l’ordre secret de la Nature.
Vides et pleins ont été dégagés sur l’intégralité du tronc d’un arbre. Masses géométriques grossières qualifiées de tête ou de corps par l’artiste ont été extraites du cœur de l’arbre lui donnant un aspect manufacturé tout en restant inscrites dans les dimensions originelles et la silhouette organique de l’arbre. À la densité de ces masses, le sculpteur va opposé la fragilité de fines barres, elles aussi extraites de la masse à coup de tronçonneuse. Ces frêles tiges cernent les vides aménagés, supportent le poids des pleins, lient tête et corps, base et sommet.
D’une masse compacte de bois poussent deux têtes aux allures de prises électriques montées sur des tiges très fines. Les deux volumes sont exempts l’un de l’autre, mais en raison des conditions de pression, ploient l’un vers l’autre jusqu’à se toucher. Ces deux forment se stabilisent mutuellement plus que les minces tiges ne les supportent. De ce fait, de multiples variantes ont vu le jour. Plusieurs têtes, disposés côte à côte à l’horizontale ou à la verticale, l’un sur l’autre, ou les deux : de multiples combinaisons sont à l’étude. La taille des colonnes varie également. Puis, retournées les têtes forment les supports, les unes par rapport aux autres. La tête la plus massive est accrochée en haut dans la plus part des cas. Les corps et les têtes ont des formes de socle. Et inversement.
De telles combinaisons engendrent de fortes tensions entre ce qui a été retiré de matière et ce qui a été préservé. Le sculpteur paraît vouloir approcher du point de rupture de la matière comme s’il ne souhaitait conserver que la quantité minimum de matière garantissant la solidité et la stabilité de la sculpture : la masse critique.
L’approche spécifique d’Armin Göhringer évoque avec évidence les phénomènes physiques propres à la croissance d’un arbre en particulier, du végétal en général. L’arbre se construit, prend forme par une succession de contractions et de dilatations de sa chair. Il peut ainsi diriger la croissance de son tronc puis le développement de ses branches en fonction de son environnement. On dit d’un arbre qu’il est tortueux comme on le dit d’un chemin. Croître ne correspond pas toujours à une poussée verticale forte et rectiligne. Pour trouver son chemin et se faire une place dans une forêt, un arbre doit savoir jouer des coudes et doit pouvoir se contorsionner au milieu des branchages de ces semblables. Prenant pour seul objectif l’accès à la lumière, l’arbre paraît capable de modifier la densité de sa chair afin de pouvoir se développer dans toutes les directions. Comme a su le rendre visible Armin Göhringer, l’arbre instinctivement choisira la verticale pour atteindre au plus vite le ciel et sa lumière. Mais si des obstacles font jour, il saura comme le capitaine d’un bateau à vapeur, doser ses forces de propulsions pour manœuvrer au plus près de la clarté. S’appuyant sur les lignes de forces perceptibles dans le cœur du bois, Armin Göhringer suit la piste du vivant en nous en révélant les réseaux de forces habituellement invisibles.