Sébastien Gouju aime à jouer, dans ses oeuvres, avec les attendus que nous avons en nous, à force d’apprentissage et d’habitude, et que nous mettons en branle lorsque nous abordons le monde. À les solliciter, tout à la fois, et à les décevoir. C’est pour cela que ses oeuvres fonctionnent souvent dans une double appréhension, en deux temps : il y a ce que l’on voit d’abord, ou plutôt : ce que, sans s’attarder à la patience que le regard requiert, on croit d’emblée pouvoir reconnaître (puisqu’aussi bien l’on croit déjà l’avoir connu) ; et il y a ce qu’il s’avère que c’est en réalité, une fois qu’on y a vraiment regardé. De papillons rangés dans des boîtes (Papillons, 2008), qui sont une collection de taillures de crayon. D’herbes, qui sont des épingles peintes (Garden, 2008). D’un plongeur, qui n’est autre qu’un Christ pour peu qu’on le remette d’aplomb et le remonte sur sa croix (In God We Trust, 2009). D’un tapis d’étoiles, qui n’est autre qu’un amas de chewing-gums écrasés au sol au gré d’un jeu de mots (Hollywood, 2009).
Mais, demandera-t-on peut-être, ne s’agit-il justement dans tout cela que d’un jeu ? Oui, et dans toute l’étendue ou toute la profondeur du terme : car il ne s’agit pas d’autre chose ici que de retrouver cette capacité – qu’on dit propre à l’enfant – de s’étonner devant le monde tel qu’il est, et d’expérimenter, en toute liberté, la multiplicité des autres combinaisons, des compositions autres de ses éléments. Ce qui sonne aussi, on l’entend, comme une espèce d’exercice philosophique : se maintenir toujours en éveil face au monde, se méfier des idées ou représentations préconçues où l’on voudrait trop vite l’arrêter, l’enfermer.
François Coadou