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Gretel Weyer

Gretel Weyer a bénéficié du programme de résidence à Budapest en 2015

 

ENFANCE DE L’ART

Les dessins et peintures de Gretel Weyer sont traversés de farandoles d’enfants sages et de rondes de petites filles modèles. Dans l’exubérance de leurs couleurs et sur leurs surfaces construites comme des pochoirs, transitent le loup, l’ours et l’ogre, et toutes les figures à la fois rassurantes et menaçantes des contes. Dans son travail de sculpture, Gretel Weyer transforme des objets simples et du quotidien en des situations fantastiques qui sont comme autant de déclencheurs d’imaginaire. Tout ce travail pourrait ainsi passer pour une célébration joyeuse de l’enfance et de l’innocence, dans une atmosphère de fable, sur fond d’une nature oscillant entre la forêt profonde des origines et le jardin enchanté, et dans une iconographie familière qui emprunte autant à l’imagerie populaire qu’aux décors d’une littérature sociale et réaliste à la Mark Twain. Mais trop de lieux communs aussi délibérément affichés nuisent à la bienséance ! Dans leur dos, les petites filles mutines dissimulent de lourdes haches, leur visage se révèle une béance aveugle, loup et ours ne sont que des marionnettes défroquées et abandonnées sur un banc. Les clins d’œil aux situations cocasses à la Méliès sont fragiles, et derrière la légèreté pointent l’inquiétude et la menace d’une violence latente, qui évoquerait davantage les suspens cinématographiques de Stanley Kubrick et de Gus van Sant. Dans Psychanalyse des contes de fées (1976), le psychanalyste américain Bruno Bettelheim explique que « Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d’abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts. […] Les contes de fées dépeignent une intégration du moi qui permet une satisfaction convenable des désirs du ça ». Le conte est ainsi une structure narrative spécifique, une méta-figure de rhétorique, qui véhicule un message normatif de fusion de la personnalité de l’individu dans une prise de rôle de l’âge adulte conforme au modèle moral ou social. En écho à cette critique du conte de fée pensé comme un objet lisse et lénifiant, Gretel Weyer revisite des modèles de représentation, telle l’image d’Épinal, à l’aune de la grammaire des arts plastiques et visuels. Elle bouscule la convenance des clichés en les infiltrant du contraste et du paradoxe qui en dévoilent l’envers. Son travail n’est pas non plus sans résonance avec les textes du philosophe Giorgio Agamben qui, par exemple dans Enfance et histoire (1976), se demande si l’homme moderne est encore capable d’expérience ou si la destruction de celle-ci est un fait accompli. Il élabore une « théorie de l’enfance » conçue comme l’expérience de la faculté même de parler, qui éclaire d’une lumière nouvelle les thèmes majeurs de la pensée contemporaine comme l’opposition anthropologique entre nature et culture, l’opposition linguistique entre langue et parole, la naissance du sujet et l’apparition de l’inconscient. Prenant appui sur le conte populaire et analysant la pensée sociale dont il est un avatar en parodiant ses codes de représentation, le travail de Gretel Weyer hybride un objet littéraire, des schémas de représentation picturale et la grammaire du cinéma. Au-delà des canons de l’imagerie populaire, ce sont les clichés sur l’enfance qu’il entend bousculer, pour donner un éclairage plus réaliste à la complexité des notions d’innocence et d’intégrité. Et si l’imagerie populaire, avec la production intensive à laquelle elle a donné lieu, peut être considérée comme la première méthode de communication de masse, l’individu que Gretel Weyer aspire à voir se libérer des rôles et des clichés dont il est affublé pourrait bien être l’artiste lui-même.

Olivier Grasser

 

 

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