Ana Navas et Zahra Poonawala ont été lauréates du programme d’échanges artistiques avec le Bade-Wurtemberg en 2015.
Ana Navas
A fake crocodile can make you cry real tears
Née en 1984, Ana Navas est une artiste d’origine vénézuelienne et équatorienne. Elle vit et travaille dans la région du Bade-Wurtemberg.
L’œil de Navas s’établit dans le paysage urbain, où elle puise son inspiration dans l’instabilité qui constitue la matérialité environnante. Les défauts de manufactures, les objets et leurs erreurs, les accidents et les incohérences industrielles alimentent son travail. L’artiste établit un monde dans lequel les objets sont insaisissables, où l’appropriation n’a plus de sens. Le déclin que met en scène Ana Navas est celui d’une
matière qui s’échappe d’entre nos mains, d’objets dénués de toute fonctionnalité, presque contingents. Les objets jadis régis par des lois mécaniques, perdent leur essence et un biscuit trouve bientôt plus de potentialité qu’une montre en marche. L’essence disparaît puisque selon l’artiste, il n’y a plus d’original.
Dans cet espace déconcertant, le spectateur est invité à apprivoiser l’œuvre, l’enlacer et s’y frotter. Non plus la parcourir avec un regard inquisiteur. Dans ce procédé presque immersif, l’artiste cherche à invoquer chez son public des souvenirs, d’anciennes sensations d’expériences passées pour ainsi reconstruire son propre monde. Malgré le déclin à priori, la vision cacophonique presque chaotique, l’Homme se doit de transgresser cette déclinaison visuelle et sensorielle pour apprendre à accepter ce paysage contaminé.
« Ce monde ne s’est pas encore habitué à la stabilité de ses crises. dans son Panorama Impérial. Voyage à travers l’inflation allemande, Walter Benjamin signalait qu’il n’y a pas de raison d’être surpris des difficultés, personne n’ayant jamais dit que seul ce qui est agréable pouvait être stable : « la décadence n’est en rien moins stable, en rien plus étonnante que l’ascension ». La persistance de la crise, expliquait-il, produit un état d’abattement où les hommes se décomposent et perdent leur chaleur : « les objets d’usage courant repoussent l’homme, doucement mais avec insistance », ce dernier devant quotidiennement se battre contre les résistances, déclarées et secrètes, qui lui sont opposées. »
Jesús Torrivilla
Zahra Poonawala
Constellations
Zahra Poonawala est née à Genève en 1983. Elle vit et travaille à Strasbourg.
Alors que traditionnellement les circuits de formation, de production et de diffusion tendent à organiser une séparation entre les espaces dédiés aux arts visuels et ceux des arts musicaux, Zahra Poonawala cherche à marier les sensations et à trouver un mode d’expression en rapport avec sa formation en arts visuels (HEAR ‘07 et Fresnoy ‘12), sa pratique de violoncelle et son intérêt pour la musique contemporaine.
Ses propositions mettent en scène le son, le rendant plastique par le travail sur l’espace et par l’interaction avec le visiteur/auditeur, au moyen de procédés variés qui s’inventent et se complètent au fil des œuvres.
« Noir. Bruits de mise en place.
Quelques consignes en allemand.
Silence. Respiration.
Clap.
Soudain, la musique jaillit et une constellation lumineuse apparaît sur l’écran noir. Telles des notes se déplaçant sur une portée, les points lumineux semblent virevolter au son de la musique. Un nouvel espace se créé ; les silences s’y répondent. L’on pense alors à la synesthésie, au mélange des arts, à la possibilité que l’image résonne de concert avec la musique dans une apparence quasi chorégraphique, ou « que les couleurs et les sons se répondent » à l’instar des correspondances entre les arts que Charles Baudelaire associait à la création même. Très rapidement, on réalise qu’il s’agit de bien plus que cela, que les points lumineux sont reliés aux musiciens qui génèrent tout à la fois le son et l’image au gré de leurs mouvements. Le son n’accompagne pas
l’image, l’artiste ne donne pas à voir une illustration de la musique mais celle-ci en train d’être interprétée. Elle n’ajoute rien, tout est déjà là inhérent à la scène.
Réalisée avec les musiciens du Stuttgarter Kammerorchester lors d’une résidence de Zahra Poonawala, Constellations vient prolonger l’expérimentation que l’artiste avait déjà entreprit auparavant en filmant seulement
les mains des musiciens en action. Ici, la composition de Bernhard Lang « Felder – Im Vorübergehen »
(1993/2008), sublimée par l’intervention de Zahra Poonawala, instaure une dramaturgie haletante et empreinte de poésie. Les interactions sonores et visuelles, et les variations d’intensité qui en découlent, génèrent une structure spatiale et une temporalité singulière dans laquelle le son semble s’incarner ; jusqu’à ce que tout se fige à nouveau, laissant alors place au silence. »
Anne-Sophie Miclo