La révolution numérique est en marche lorsqu’au milieu des années 1980 Steven Pippin se fait connaître à travers des protophotographies prises à l’aide d’objets courants transformés en chambres noires. De l’armoire au réfrigérateur et à la baignoire, tout y passera, y compris le Photomaton, qui, tout-en-un, représente pour Pippin le modèle parfait de la « machine célibataire ».
En 1993, dans des conditions acrobatiques, l’artiste convertira ainsi les sanitaires du train Londres-Brighton en studio et laboratoire pour la durée du voyage : The Continued Saga of an Amateur Photographer. En 1998, il pousse l’expérience dans une laverie automatique de San Francisco, où lui vient l’idée d’enregistrer en plusieurs images un personnage se déplaçant devant la ligne des machines à laver. Hommage à Muybridge, Anglais émigré à San Francisco où, en 1878, il disposa en ligne douze chambres photographiques pour décomposer les mouvements d’un cheval au galop. Pippin rejouera donc Muybridge en lançant un cheval dans sa laverie dans le même but, les machines à laver servant de plus au développement des images : Laundromat Locomotion.
Pippin n’est pas seul à s’intéresser aux techniques archaïques de la photographie, mais il redonne à son invention la dimension d’une épopée. Le résultat ne présente pas à ses yeux autant d’importance que le processus, qui abat la frontière entre production plastique et document – frontière sensible en photographie où, à l’ère de la reproduction technique sans contact, le flou s’installe entre copie et original. Pippin n’est plus un photographe amateur, mais il campe ce rôle d’esclave soumis à sa passion, il est avant tout performer. L’œuvre est un récit extraordinaire et fait de la photographie un spectacle. Le détournement d’objets existants ne suffirait pas à distinguer Pippin parmi les artistes-ingénieurs apparus depuis les avant-gardes. Le détournement n’a de finalité qu’à replacer l’invention de la photographie à portée empirique du premier venu. Pour ne pas verser dans l’emphase, il en fait une épopée domestique.
Après l’exploit de San Francisco, Pippin se détourne de la photographie pendant dix ans. Puis il se lance dans une course effrénée vers l’image instantanée. Ce sont, alors, des retrouvailles violentes : la série A Non Event met en scène la destruction d’appareils photo au moment même où une arme fait feu à bout portant pour les mettre hors d’usage. C’est encore aux États-Unis qu’il en réalise les premiers clichés. À ce sujet, Pippin se souvient qu’en route vers Las Vegas il a dû présenter son permis de conduire pour acheter de la bière, mais qu’une fois en ville on ne lui a pas réclamé sa carte d’identité pour acheter les munitions nécessaires à son projet, le vendeur affable lui proposant même une arme ! L’exposition rassemble des photographies, des appareils conçus ou trafiqués par Pippin, ainsi que du matériel engagé dans la réalisation de ses travaux.