The Legible City est l’une des œuvres phares de l’artiste des arts médiatiques australien Jeffrey Shaw. Elle est considérée comme référence dans l’art interactif des années 1990. Dans cette installation, le visiteur a la possibilité d’entreprendre, en pédalant sur un vélo placé dans une salle obscure, un trajet virtuel à travers des images the synthèse projetées des villes de Manhattan, Amsterdam et Karlsruhe. Les bâtiments de ces villes sont constitués de grosses lettres en trois dimensions qui s’assemblent aussi pour former des mots et des phrases en relation littéraire ou historique avec le lieu. Ainsi, la découverte de la ville devient également une expérience de lecture que chaque visiteur peut entreprendre à sa guise. À cette occasion, l’effort réel et physique fourni sur le vélo est transformé en trajet virtuel.
Depuis le début de sa production artistique, Jeffrey Shaw s’attache principalement à briser la distance traditionnellement installée par l’institution artistique entre l’œuvre d’art et le spectateur. C’est en ce sens que les principes du Expanded Cinema, un mouvement des années 1960 et 1970 qui s’est intéressé à la participation du spectateur, revêtent une grande importance dans les premières œuvres de Shaw. Dans toute son œuvre, Shaw, qui a tout d’abord étudié la sculpture, témoigne de sa préférence pour la forme d’expression sculpturale immersive. Dans ses sculptures pneumatiques monumentales, souvent accompagnées de projections et qu’il créa dans les années 1970 alors qu’il était membre du collectif Eventstructure Research Group, il était déjà question de faire du spectateur un acteur. Shaw considère la réalité virtuelle comme un ultérieur moyen de faire participer le spectateur à l’œuvre. À partir du milieu des années 1970, Shaw commença à s’intéresser à l’ordinateur comme outil de création artistique. Il considérait l’ordinateur comme un instrument efficient pour ses travaux, car les configurations programmées des logiciels pouvaient être utilisées comme modules à adapter simplement à d’autres œuvres d’art (comme c’est le cas pour The Legible City et The Virtual Museum, 1991).
Mesures de conservation
L’étude de cas relative à l’œuvre The Legible City de Shaw apporte un éclairage sur de nombreux aspects de la conservation de l’art numérique. D’une part, l’installation interactive est constituée d’un logiciel propriétaire conçu spécialement pour cette œuvre. D’autre part, elle utilise du matériel informatique obsolète et des fabrications spéciales. En raison de ces deux facteurs, la conservation de cette œuvre ne pourra être réalisée qu’au prix d’efforts importants.
Jusqu’alors, le ZKM | Karlsruhe s’est attaché à appliquer à l’œuvre The Legible City la stratégie de la « préservation du matériel informatique » (cf. glossaire). Quelques exemplaires de l’ordinateur Indigo 2 (fabricant : Silicon Graphics) dont la production a cessé depuis 1997 sont entretenus et conservés en contrepartie d’efforts considérables. Les recherches entreprises lors de l’étude de cas ont montré que le convertisseur analogique numérique, c’est-à-dire l’appareil qui fait office d’interface entre les signaux analogiques émis par le vélo et l’ordinateur et spécialement conçu pour cette œuvre, en constituait le point faible. Ce composant a immédiatement fait l’objet d’une analyse et d’un protocole, et une réplique exploitable a été élaborée. L’interaction du spectateur prévue par l’installation a également été minutieusement maintenue.
Après avoir sauvegardé les données indispensables à l’œuvre, les copies de sauvegardes créées ont été soumises à des tests. Gideon May, le programmeur de The Legible City (langue de programmation C) sollicité par Jeffrey Shaw, a ensuite été interviewé au sujet de la conservation de l’installation. Au cours de l’entretien, May suggéra que le portage informatique du logiciel était une mesure envisageable. Ce terme désigne le transport d’un programme sur un autre système d’exploitation. La réalisation de cette mesure est coûteuse et demande beaucoup de temps. Néanmoins, du fait du vieillissement des ordinateurs SGI, elle constitue une solution à long terme en regard de la préservation du matériel informatique. Le ZKM | Karlsruhe l’envisage comme alternative.