C’est en 1962, huit ans après s’être rencontrés, que Danièle Huillet et Jean-Marie Straub tournent leur premier film, dans lequel le couple impose déjà un système de production particulier. Ils réaliseront, écriront, monteront et produiront eux-mêmes tous leurs films afin de maintenir leur indépendance créative. Jusqu’à la disparition de Danièle Huillet, en octobre 2006, ils furent ainsi unis en un compagnonnage indéfectible par leur pensée résolue, leur incessant questionnement, leur refus des modes et leur foi dans le regard et l’intelligence des spectateurs. En 1967, Chronique d’Anna-Magdalena Bach les impose comme les principaux représentants d’un nouveau cinéma remettant en cause les schémas narratifs et esthétiques traditionnels. Ils filment en plans fixes ou longs travellings des textes adaptés d’œuvres littéraires ou d’opéras, interrogeant la société contemporaine et engageant une réflexion critique sur le capitalisme et la lutte des classes, à travers des personnages ou des mythes historiques. Si leurs films n’ont jamais touché le grand public et ne rallient pas l’ensemble de la critique, Straub et Huillet sont considérés comme des cinéastes majeurs de la deuxième partie du XXème siècle.
Adapté du conte Ah Ernesto ! (1971) de Marguerite Duras qu’elle porte elle-même à l’écran en 1984 dans Les enfants, son dernier film, En rachâchant (1982) est la première comédie des Straub, reposant notamment sur l’opposition entre le discours convenu de l’éducation et la volonté farouche d’Ernesto de s’y opposer. Ernesto, un jeune écolier, décide en effet de ne plus aller à l’école. Inquiets mais pas trop, ses parents l’emmènent voir le professeur qui tente en vain de lui imposer son autorité de savant.
Malgré une façade en apparence légère, Huillet et Straub dressent ici une satire sociétale à travers une critique du système éducatif. Les réflexions rebelles d’Ernesto dévoilent une autre réalité, non moins valable que celle de l’institution : le président Mitterrand est assurément un « bonhomme » comme un autre, tout comme un papillon naturalisé représente aussi un crime. « C’est un film d’entomologiste, dit Jean-Marie Straub. On filme Ernesto comme Buñuel disait qu’il faut filmer les insectes. C’est un insecte comme un autre, et les insectes, c’est très important. Pour Rosa Luxemburg le sort d’un insecte qui lutte entre la vie et la mort quelque part dans un coin, à l’insu de toute l’humanité, a autant d’importance que le sort et l’avenir de la révolution à laquelle elle croyait. »