Syneson
Philippe Lepeut
2013
Installation in situ
7 porte-voix en aluminium laqué
Bande sonore
Place du marché, Neudorf
Strasbourg, France.
« Syneson est une œuvre sonore et visuelle. Sept porte-voix aux dimensions sculpturales signalent la présence de sons diffusés par 7 haut-parleurs. Ces ensembles porte-voix et haut-parleur sont comme des balises ou évoquent encore le gramophone de nos aïeux avec son pavillon. La couleur des porte-voix a été étudiée pour varier avec la luminosité du jour. Cela va du cuivre étincelant d’une fanfare aux tonalités vert émeraude d’une forêt au couchant.
Syneson est à la fois une sculpture accrochée en légèreté à la pergola installée sur la place du marché, et un instrument de musique: un acousmonium(1). Les haut-parleurs font circuler des sons d’un bout à l’autre de la pergola pour créer des images acoustiques mouvantes et ainsi, donner à la « rumeur de la ville » une écoute nouvelle, une attention joyeuse et inattendue. Une brève diffusion sonore a lieu toutes les heures ; la régularité d’apparition des sons donnera des repères temporels comme le fait une horloge. Les sons créés et le concert quotidien des bruits de la ville alterneront pour se mêler en une musique « concrète » : la bande originale de la place du marché du Neudorf.
L’entrée des sons dans l’espace public se fait à la manière d’un limonaire(2). Pour ces instruments, le carton tient lieu de programme et selon les perforations (leur nombre, leur position, leur taille) une musique se joue. Dans notre cas, le carton perforé est un programme informatique généré par un logiciel qui permet de créer une partition faite de consignes (traitement du son, mode de diffusion, routage, etc.) pour jouer des échantillons sonores et les mettre en espace au travers des différents haut-parleurs.
Ce programme-carton, partition temporelle et spatiale de l’apparition des images sonores, est intitulée Syneson(3). Il y a une dimension cinématographique et horlogère évidente(4). La partition prend en compte le temps d’une année divisée en 4 saisons (hiver, printemps, été, automne) et le temps d’une journée réduite pour des raisons de voisinage à une période allant de 8h à 21h. Ainsi, 14 fois dans la journée, au début de chaque heure, une séquence sonore se déclenche. Une grande variété de sons permet de jouer des images sonores très différentes sur l’ensemble de l’année.
Syneson raconte des histoires poétiques aux scénarii ouverts et dont les animaux, leurs milieux et la météorologie en sont les protagonistes. Le jour s’ouvre avec l’entrée du merle (8h.) et se ferme avec le rossignol, la nuit (21h.). Entre-temps, entreront en scène La forêt enchantée, Le jeu des cigognes, les vaches, au loin auxquels répondront Le fantôme de la prairie, Les vache, au pré, La grotte ou L’envol des chauve-souris. Et bien d’autres choses encore puisqu’il ne s’agit là que du chapitre hivernal.
Bien sûr, il n’est pas question de coller aux saisons, mais de jouer avec elles en s’y fondant ou bien en provocant des effets de contraste pour faire surgir dans les moments les plus inattendus des souvenirs individuels – que bien souvent nous partageons : des réminiscences de jardins, de campagnes, de forêts, de montagnes, d’orages, de coups de vent,… qui laisseront apparaître la ville.
(1) Un acousmonium est un « orchestre » de haut-parleurs. D’après François Bayle, qui définit le terme et le concept d’acousmonium en 1974 au sein de l’INA-GRM, c’est l’instrument de la mise en scène de l’audible. Il désigne ainsi un dispositif constitué d’un ensemble de “projecteurs sonores” orchestrant l’image acoustique, délaissant alors l’idée de sonorisation. François Bayle a été chercheur au GRM sous la conduite de Pierre Schaeffer.
(2) L’orgue de Barbarie est un instrument de musique mécanique qui fait partie des automatophones (instruments destinés à produire de la musique par des procédés mécaniques). Les plus grands appelés limonaires sont fixes et affectés à des salles de bal, des cafés, mais parfois aussi des églises. L’hybridation de l’acousmonium et du limonaire est aussi l’hybridation du savant et du populaire.
(3) Syneson est un néologisme (que j’invente) qui joue sur la proximité sonore entre « syne » qui en écossais signifie : avant, autrefois, et « cinesthésie » qui signifie perception de la position et des mouvement du corps. Cela évoque, bien sûr, le cinéma du son. À la fois une forme très ancienne (le cinéma muet, ou les recherches de Walter Ruttman : Wochende, 1929) et un dispositif très contemporain de cinéma pour l’oreille, pour des sons et des corps en mouvement (une cinesthésie des sons perçus en mouvement).
(4) Je pense très modestement à l’horloge astronomique de la Cathédrale de Strasbourg qui propose associés à des heures des événements visuels et sonores. »
Notes de l’artiste